La cour des comptes critique à nouveau le gouvernement sur la dépense qu'elle juge excessive et infondée à l'égard de l'apprentissage
Dans une note publiée le 7 juillet, l'institution chargée de contrôler le bon emploi des fonds publics appelle le gouvernement à recentrer son soutien à l'apprentissage, dénonçant une dépense qui « profite surtout aux étudiants de l’enseignement supérieur et beaucoup moins à ceux qui préparent CAP et BTS ».
C'est la deuxième fois que cette juridiction monte au créneau et pointe le coût « très élevé » de la réforme de l'apprentissage (loi du 5 septembre 2018) qui, selon elle, visait à « augmenter massivement le nombre de jeunes entrant en apprentissage, un objectif atteint plus rapidement que prévu grâce à trois mesures fortes : la libéralisation de l’offre de formation (qui s’est rapidement étendue dans l’enseignement supérieur), la refonte des aides à l’embauche d’apprentis à l’occasion de la crise sanitaire et l’absence de limite à la dépense.»
La cour reconnait que les résultats ont été spectaculaires avec un essor de l’apprentissage « inédit », qui atteint 837 000 nouveaux contrats en 2022 (pour 305 000 en 2018).
Mais avec un coût également spectaculaire : plus de 16,8 milliards d’euros (Md€) pour l'alternance, dont 4,8 Md€ d’aides à l’embauche d’alternants et 10 Md€ pour le financement des contrats.
Retour aux bonnes vieilles méthodes
Dans la note du 7 juillet, les juges de la cour des comptes mettent en cause le bien-fondé de ces dépenses en estimant que « la valeur ajoutée de l’apprentissage est plus importante pour les jeunes présentant les plus bas niveaux de qualification, ceux qui rencontrent le plus de difficultés pour accéder à l’emploi. » et qu'il importe de « redonner aux aides à l’embauche d’alternants leur finalité d’aides à l’insertion professionnelle des jeunes - plutôt que d’aides aux entreprises - et de faire davantage participer celles-ci au financement du développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. »
Les bons comptes font les bons amis
Le message délivré par cette prestigieuse institution est affligeant, les énarques qui la composent majoritairement déclarent plus utile d'orienter les dépenses au bénéfice exclusif des jeunes en échec scolaire et considèrent secondaire une dépense qui permet aux classes populaires d'accéder aux études supérieures !
Une analyse déconcertante et qui apparaît assez peu pertinente, car c'est aussi et surtout la réussite de cette réforme que d'offrir la chance de poursuivre des études à ceux qui n'auraient jamais pu l'envisager sans elle ! Et tous les apprentis en bac + 3 ne sont pas des gosses de riche qui profitent du système !
En limitant les aides aux employeurs d'apprentis en CAP, ces fonctionnaires éclairés nous promettent un réjouissant retour en arrière, prenant le risque de ruiner la formidable réussite de Murielle Pénicaud (ministre du travail en 2018) et la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Une réforme qui pouvait passer à l'époque pour une petite révolution, en concentrant l'argent de la taxe d'apprentissage au seul bénéfice des apprentis et en instaurant une aide financière aux employeurs qui les incite à recourir davantage à l'alternance.
La mesure a permis à des dizaines de milliers de jeunes de prolonger leurs études en Licence ou en Master, comme en CAP ou en BTS.
La valeur ajoutée de l'apprentissage
Affirmant que « la valeur ajoutée de l'apprentissage » c'est le CAP et regrettant « que la dépense ne bénéfice pas en majorité aux jeunes rencontrant le plus de difficultés pour s’insérer sur le marché du travail », les magistrats de la cour des comptes se trompent d'époque et perpétuent de vieux préjugés qu'on croyaient abolis, s'arrogeant un rôle moralisateur de la vie publique et de l'enseignement, à la limite de leurs prérogatives.
Même s'il est incontestable que l'apprentissage doit favoriser l'insertion des jeunes qui s'éloignent de la formation scolaire, des milliers de jeunes issus des classes les moins favorisées abandonneront tout espoir d'un diplôme dans le supérieur, si l'avis des « sages » est suivi.
Les juges admettent néanmoins ne pas « méconnaître les avantages procurés par l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, y compris en termes d’image de cette voie de formation » et se rappellent que « Les jeunes sortant d’une formation par apprentissage présentent de meilleurs taux d’insertion dans l’emploi que les autres jeunes sortant de formation initiale à tous les niveaux de qualification. » mais ils oublient hélas d'évoquer le handicap des jeunes avec leur seule bourse d'études, face à l'engorgement des universités et le recours nécessaire aux écoles privées pour un grand nombre d'entre eux.
L'apprenti coûte cher !
«
L’apprentissage est de loin le dispositif le plus coûteux de la politique de l’emploi !» conclu la note où l'on devine la consternation du magistrat. En effet le coût annuel moyen par contrat d’apprentissage s’élève à 19 200 € quand celui d'un élève en lycée professionnel est évalué à 12 680 € et celui d’un étudiant dans l’enseignement supérieur à 11 580 €. Doit on s'en indigner ? Un apprenti est au moins aussi important qu'un étudiant et a beaucoup moins de chance de gravir l'échelle sociale quand on observe la configuration sociale dans l'enseignement.
Et la comparaison avec le lycée professionnel mérite d'être ajusté avec le taux d'insertion dans l'emploi. Selon la Darès, en janvier 2020, six mois après l’obtention de leur diplôme, 73% des titulaires d’un BTS par la voie de l’apprentissage occupaient un emploi salarié. Leurs camarades ayant obtenu un BTS par la voie scolaire n’étaient que 56%.
Equilibrer les comptes
La situation demeure cependant préoccupante. Dès 2022, France compétences, l’opérateur créé pour réguler et financer l'apprentissage, menaçait de se trouver en situation de cessation de paiement dès le mois de septembre de la même année. L'Etat a du intervenir avec une dotation exceptionnelle de 4 Md€.
Dans sa note de juillet, l'institution reconnait utile, pour équilibrer les comptes et maintenir le dispositif, de consolider la situation de France compétences par une dotation annuelle. Puis renforcer la lutte contre la fraude qui s’est développée parmi les petits malins qui ont vite flairés des opportunités, et aussi ajuster les niveaux de financement des contrats d’apprentissage à la réalité des coûts des centres de formation d'apprentis.
Autant de mesures qui devraient aider à combler le déficit sans avoir à menacer l'aide au recrutement des apprentis.